Somatisation

Article de Michèle Théron

Nous somatisons notre potentiel inaccompli

Nous naissons avec un potentiel personnel à accomplir. Certains événements de la vie peuvent entraver l’expression de cette force qui va alors stagner et se somatiser. Notre besoin d’amour est à la fois la source de cette prison et notre délivrance.

 

Flottant dans l’univers, la Terre tourne doucement sur elle-même. Nimbée dans ses épaisses couches de nuages, impossible d’entendre les grondements des Hommes qui s’activent sur son dos pour tenter de vivre.
Pourtant, dans le brouhaha, dans le tumulte, dans la souffrance, chacun s’applique à lancer ses possibles, comme autant de flèches aux destinations souvent oubliées. Chacun tente, avec des arcs de fortune et des techniques imparfaites, de trouver sa cible, d’atteindre sa légende personnelle. La seule chose qui restent aux Hommes dans cette quête éperdue, c’est le vague souvenir d’un possible qui n’a pas de nom, mais les habite à jamais. Ils ne savent pas qu’au cœur d’eux-mêmes, se trouve un secret, fabriqué dans l’atelier des dieux.

Entre ciel et terre, se trouve un atelier géant, où les dieux tissent sans cesse le destin des Hommes. Chaque fil d’or est tissé avec un autre, dans un dessin et une dimension uniques pour chacun. Chaque fil, noué, enroulé, porte la mesure, la trace et l’histoire du destin à accomplir. Tout est donné à la naissance, comme un secret à découvrir, comme un parchemin à déchiffrer.
Ainsi, logé dans le cœur des Hommes, l’enrouleur (1) secret de leur destin attend pour être déroulé.
Chacun garde la mémoire de la distance qui le sépare de sa légende personnelle. Chacun porte en lui la connaissance de cette distance, plantée dans son cœur comme un désir.
Ne reste plus qu’à étendre les bras le plus loin possible sur le chemin de sa vie, sur la ligne du temps, pour vivre sa légende.

Mais rien n’est simple.
Car sur la route vont se dresser des barrages, des murs, des palissades, toutes sortes d’obstacles empêchant le déploiement. Nous avons de nombreuses cordes (ne dit-on pas « c’est dans mes cordes » pour dire que nous en sommes capables ?) et de nombreuses ficelles qui ont la possibilité de se déployer dans leur totalité, c’est à dire dans la totalité de nos dons. Aussi notre corps nous posera toujours la même question :
« Quelle part as-tu déroulé de tes dons, que te reste-t-il encore à accomplir ? »
Chaque fil, qui correspond à un potentiel sera révélé ou non par l’histoire de notre vie, par les événements survenus au fil du temps.
Soit l’événement permettra au potentiel de se réaliser, soit au contraire il va le brider, le maintenir dans l’enrouleur, créant ainsi une tension.
Une tension qui nous met à la croisée de deux forces : d’un côté notre potentiel, ce que nous savons inconsciemment de chacune de nos cordes et ce que nous avons déjà pu déployer de ces cordes, et de l’autre côté, ce que nous rencontrons sur la ligne de la vie rythmée par le temps. La longueur déployée témoignera sans cesse de l’écart entre ces deux forces : le potentiel global fait de nos dons, de nos capacités, notre « je suis » profond et ce que nous rencontrons comme obstacles et freine notre potentiel.

Au fil des ans, nous déroulons nos capacités petit à petit. Mais combien en reste-t-il dans l’enrouleur ? Ce qui reste est difficilement mesurable. C’est ce qui est inaccompli, encore innommable, mais sous-tendu par une force constante. Tout ce qui n’est pas déroulé va n’avoir qu’un seul désir, se dérouler, en exerçant une pression perpétuelle dans notre vie.

Nos premières empreintes –nos parents- puis notre entourage, notre environnement, vont nous imposer des distances à respecter, limitant notre espace, empêchant nos ficelles de se déployer. Nous devons alors partir de là, de cet espace limité, et trouver les moyens de l’agrandir ou de rompre les cordes qui nous brident pour nous déployer réellement.
La part de nos dons qui se sera déroulée, se manifestera par un accomplissement, par une sensation de plénitude nous donnant le sentiment d’exister de façon harmonieuse.
La part qui ne sera pas déroulée va tenter de se manifester autrement. Dans nos choix de vie, nous tentons alors de manifester à notre manière, ce qui ne peut pas s’accomplir, en cherchant une solution selon notre tempérament, c’est à dire selon la forme de nos enrouleurs, selon ce qui s’est passé dans notre vie, à quel moment cela a eu lieu, comment cela s’est bloqué et où cela s’est mémorisé.
La difficulté, c’est que nous finissons par être persuadés que notre état est immuable, que nos ficelles sont réellement trop courtes. Nous finissons par être enfermés dans notre impossibilité de vivre, et même si plus tard il n’existe plus de murs, si les palissades tombent, si les obstacles disparaissent, nous laissons à nos ficelles la même longueur, sans plus oser les déployer, prisonniers de nos croyances et de nos schémas d’empreinte.

Nous sommes comme Pinocchio. Réduits à l’état de pantin, avec des ficelles trop courtes qui limitent nos gestes, nous empêchent de prendre le large et de courir. Il nous faut alors trouver le moyen de passer de l’état de pantin, à l’état d’être humain rendu à sa chair, libéré de son squelette de bois limitant, pour retrouver tous les potentiels de notre physiologie et de notre nature d’être humain. Notre nez qui s’allonge, c’est le symptôme visible d’un corps en souffrance, d’une conscience non-manifestée, bridée, amputée. C’est en nous libérant de nos mensonges, ces espaces d’inconscience et d’obscurité que nous pouvons retrouver notre nature profonde et libérer notre potentiel.

Mais qu’est-ce qui a pu nous jeter dans cette prison de mal-être ?
Nous naissons tous avec un besoin d’amour inconditionnel, rarement reçu dès le départ de notre vie. Dans cet amour que nous attendons, chaque rencontre nous permet à sa manière de déployer, d’agrandir ou de raccourcir les fils de notre pelote magique. Notre potentiel est sans cesse confronté à notre famille, à nos parents, amis, rencontres, amours, à l’histoire du monde, à la société, aux générations précédentes dont l’histoire se perpétue dans notre chair, par le biais du transgénérationnel.

C’est le besoin vital d’être aimé qui va faire que nous allons accepter les conditions, les limites qui nous sont imposées. Au nom de l’amour, nous allons rabaisser nos capacités, pour être conformes, pour plaire, être aimés et ne pas être abandonnés. Nous allons nous formater sur les modèles imposés par notre entourage, par la morale, les habitudes, les croyances, parce que choisir de vivre son potentiel, c’est risquer d’être non conformes et rejetés. Au nom de l’amour, nous allons être en conflit entre ce que nous pouvons faire réellement, et la manière dont nous avons besoin d’être aimé. Nous allons en permanence tenter de trouver un équilibre entre l’accompli et l’inaccompli.
L’accompli ne nous posera bien sûr pas de problème. Mais l’inaccompli, nous allons le garder dans notre mémoire, dans notre corps, où il sera comparé, analysé par rapport à ce que nous savons de nous-mêmes, par rapport
au potentiel d’origine, laissé en nous par les fils d’or enroulés sur notre enrouleur personnel.

N’oublions jamais que ces fils non déroulés, laissent une information en attente et que notre corps mémorise à l’intérieur de lui-même tous les possibles réalisés et toutes nos limitations, toutes nos ficelles raccourcies.
Notre enrouleur garde la mémoire exacte de combien il lui reste à dérouler. S’il est déroulé à 70 %, il lui reste encore 30 % à dérouler. Il y a en permanence en nous un lieu qui sait parfaitement qui nous sommes et ce que nous pouvons faire. Notre potentiel, notre « je suis », envoie en permanence un message. Nous sommes ainsi toujours informés de qui nous sommes, de ce que nous avons réalisé et de ce qu’il nous reste à réaliser.

Si les limitations sont trop importantes, nous allons nous retrouver dans une impossibilité de vivre, dans une impossibilité d’exprimer nos potentiels, de réaliser notre individualité.
Le langage que choisira alors notre corps pourra être la somatisation ou la maladie, sorte de régression visant à servir notre être intérieur, car : « La régression (…), qui est adaptation aux conditions du monde intérieur de chacun est fondée sur la nécessité vitale de donner satisfaction aux exigences de l’individuation » (2)
Tout ce qui ne sera pas accompli, va se somatiser, s’inscrire dans notre corps, qui est le gardien de notre mémoire, celui qui sait quelle est notre mission et notre légende.

Si notre besoin d’amour inconditionnel fut à l’origine de notre prison émotionnelle, l’amour reste néanmoins un puissant moteur pour dérouler notre enrouleur. L’amour est en effet le meilleur moyen de capter la quantité de cordes qui ne sont pas encore déroulées, comme autant de dons inaccomplis. L’amour que l’on cherche, vers lequel on tend, c’est le révélateur, c’est la mémoire que nous avons de notre déploiement possible. A travers le désir, nous allons nous mettre en marche vers l’amour et vers l’accomplissement de la totalité de notre être.
Le désir, c’est la pression nécessaire, le moteur extrêmement efficace qui nous permet de rester branchés sur notre conscience intérieure, celle qui connaît exactement la taille de notre enrouleur. Grâce au désir, nous allons pouvoir rester en vie, car l’envie permet de dépasser nos limites.
En cherchant toujours à être dans la vérité de notre être, en étant à l’écoute de notre besoin d’amour sans le rabaisser ni le marchander, nous pouvons alors métamorphoser nos anciennes croyances, déployer notre potentiel et commencer à vivre notre légende personnelle.

 

  1. Sur une idée du Dr Olivier Soulier, lors de la conférence « Initiation au décodage symbolique », à Lille les 9 et 10 décembre 2004.
  2. C.G. Jung in L’Energétique psychique, Livre de Poche

Michèle Théron
Praticienne de Santé Naturopathe
Thérapeute

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