Aujourd’hui, Rudolf Steiner (1861 – 1925)

 

Comment ne pas rendre hommage ici au père de l’anthroposophie, tant cette œuvre monumentale s’inscrit assurément comme le premier modèle de médecine holistique pour le XX° siècle ?

Après avoir suivi de brillantes études à l’Ecole Polytechniques de Vienne et obtenu son doctorat de philosophie (sur le thème de la liberté), après avoir œuvré dans le cadre de la Société Théosophique allemande (enseignements d’H. P. Blavatsky et d’Annie Besant), cet inconditionnel admirateur de Goethe et de Novalis structure ses premiers enseignements personnels dès l’année 1900 : La Société Anthroposophique Rudolf Steiner voit le jour. Partant du principe que « toute connaissance que tu recherches pour mûrir sur la voie de l’ennoblissement de l’homme et de l’évolution de l’univers te porte un pas en avant », Steiner affinera tout au long de sa vie, à force d’études, d’expériences et d’intuition, une démarche spirituelle et thérapeutique dont les répercussions sont aujourd’hui encore insoupçonnables.

 

Très jeune il fera l’expérience du monde suprasensible et ses visions lui donneront accès aux univers qualifiés aujourd’hui de transpersonnels, à savoir au-delà des limitations de l’espace et du temps habituels. Ainsi, s’il deviendra vite capable de percevoir les différentes auras ainsi que les esprits de la nature, il pourra aussi guider ses méditations vers l’infiniment grand ou petit ou encore explorer les archives de l’univers … C’est dire combien ses premières conférences publiques ne lui attireront pas que des amis. Il lui faudra multiplier les expériences et bien des réussites spectaculaires en matière d’agriculture ou de guérisons notamment, pour obtenir peu à peu le respect de ses contemporains, médecins en particulier. Un siècle plus tard, l personnage est toujours dans le collimateur des détracteurs d’une médecine aussi engagée spirituellement.

 

A Berlin, grâce à ses travaux sur Goethe et sur Nietzsche, il occupera une place importante dans la vie culturelle et s’intéressera aux besoins et aux aspirations sociales du monde ouvrier. Au point de vue de l’hygiène sociale, il jettera les bases d’une « Tripartition sociale » : vie culturelle, vie publique et juridique, vie économique, qui s’adresse à des hommes « citoyens des deux mondes ».Il épousera Marie von Sivers en 1914, année de la construction du premier Goethéanum, à Dornach, près de Bâle. Œuvre d’art total, où il s’agissait « de se défaire de tout élément humain personnel, et de rendre dans chaque ligne, dans chaque forme, non pas ce qui surgit de la nature humaine personnelle, mais ce que manifestent les mondes spirituels ». Incendié 8 ans plus tard par ses opposants (il était tout en bois), il sera reconstruit sur ses cendres et abritera l’Université Libre de Science Spirituelle, une « une association de personnes désireuses de cultiver la vie de l’âme dans l’individu et dans la société, en se fondant sur une véritable connaissance du monde spirituel ». Près d’un siècle plus tard, cet espace se veut encore un pont jeté entre l’art et le regard spirituel, clés interdépendantes pouvant fertiliser l’avenir même de l’humanité.

 

On doit beaucoup à Rudolf Steiner : La création des écoles Waldorf, lieux dont la vocation n’est plus d’y recevoir un enseignement achevé (des têtes bien pleines) mais de s’y préparer à recevoir les leçons de la vie (des têtes bien faites). On y accompagne la croissance, mieux, la métamorphose des enfants, de la maternelle au BAC, respectant leurs rythmes de croissance spécifique (de 7 ans en 7 ans), et nourrissant autant leur cerveau droit (créatif, affectif, intuitif, anima) que leur cerveau gauche (rationnel, logique, critique, animus). L’interdiction de ces écoles par le régime nazi et les difficultés liées aux situations difficiles de la deuxième guerre mondiale stopperont leur développement jusqu’en 1945. A ce jour, on compte 780 écoles dans le monde, 1500 jardins d’enfants, 300 centres d’éducation spécialisée (sociothérapie pour la réinsertion de toxicomanes notamment et pédagogie curative pour enfants et adultes handicapés), 60 instituts de formation de professeurs dans plus de 50 pays, et …une 5 établissements seulement en France, régulièrement menacés de fermeture par les propagandes rationalistes, les persécutions antisectes ou anti végétarisme et les poursuites fiscales !

 

On lui doit aussi l’eurythmie, cet art du mouvement « qui exprime par le geste le son parlé ou le son musical » ; hygiénique ou thérapeutique. Notons que cette discipline de corps et de l’âme apparaît alors même que le philosophe bulgare Peter Deunov créé la paneurythmie dans des conditions tout aussi visionnaires. Les mystères de la synchronicité dirait Jung …

La biodynamie, cette expression supérieure exceptionnelle de l’agriculture et de l’élevage bio que nous connaissons tous au travers des produits tels que Holle, Wéléda, Wala ou Dr. Auschka, apparaît toute aussi centrale dans l’œuvre de Steiner. C’est qu’on y applique bien plus que des techniques ou des recettes pour traiter le sol, les plantes ou les bêtes : on y révèle une conscience soucieuse de respecter et d’intégrer les énergies cosmiques (soleil, lune, voire aspects planétaires) et telluriques (roches, magnétisme terrestre, …). On y déploie une authentique alchimie des éléments naturels conjuguant leurs principes et les sublimant via le travail de l’homme, ce dernier révélant la quintessence dans la dimension du cœur.

 

Des institutions fiduciaires et bancaires ont également été créées dans de nombreux pays dans l’impulsion anthroposophique (en France, la NEF puis le Crédit Coopératif par exemple), ce qui témoigne d’un solide enracinement des anthroposophes dans le monde, gage d’une conscience et d’une responsabilité socioprofessionnelle très adulte.

L’homme, pour Steiner, est en effet une entité constituée par le corps, soumis aux lois de l’hérédité, de l’incarnation et de l’hygiène de vie, par l’âme, soumise à la destinée dont elle est la créatrice, et au libre arbitre lié à son niveau de conscience, et par l’esprit, impérissable, soumis aux lois du karma. En d’autres termes, on parle d’une structure quadripartite composée des corps physique + éthérique (énergétique, vital) + astral (émotions, désirs) + le Moi (conscience psychologique et potentiel spirituel, spécifique de l’humain). On évoque aussi des fonctions tripartites selon un pôle métabolique (principe chaleur, sous diaphragmatique) + un pôle neurosensoriel (principe lumière, système neuropsychique) + un pôle intermédiaire, dit rythmique (cœur et poumons). En simplifiant beaucoup, on peut avancer que de l’harmonie dynamique de ces fonctions et de ces structure naît la santé, comme de leurs conflits, mauvaise nutrition ou anarchie naît la maladie.

 

La médecine anthroposophique, aspect majeur de l’œuvre de Steiner est donc ainsi une médecine de l’homme total, un nouveau paradigme holistique pour l’occident soucieux de trouver des réponses aux mystères de la vie, de la mort, de la destinée et de la souffrance humaine. Définie comme un « élargissement de l’art de guérir », cette médecine est décidément bien plus qu’une homéopathie nouvelle lorsqu’elle se consacre plus encore à enseigner un art de vivre juste (nutrition, respirations, mouvement, art, prière et méditation …) qu’à prescrire des remèdes.

Bien des années avant que la physique quantique ne démontre les champs morphogénétiques, Steiner avait émis l’idée que les cristallisations sensibles, (ces fabuleuses images rappelant des cristaux de givre, obtenues par la dessiccation contrôlée de substances biologiques correctement diluées dans une solution de chlorure de cuivre), sont le reflet des éthers, les forces formatrices associées à toutes choses vivantes. On les utilise aujourd’hui pour estimer la qualité de remèdes, d’aliments, et même du sang humain (bilan énergétique et prédictif très prisé en Allemagne dans le cadre du suivi des pathologies lourdes par exemple).

 

Déclinant tous les aspect d’un subtil ésotérisme chrétien, (un peu comme le firent les gnostiques des premiers siècles), Steiner a osé déflorer un à un tous les mystères et a proposé même une relecture des évangiles, … double scandale pour le dogme, qu’il soit protestant, catholique, ou plus couramment simplement scientiste !

 

Plus de 30 livres et de 6000 conférences, voilà que donne une idée de l’héritage laissé par le maître à qui voudra bien s’y pencher. Si l’on peut se procurer l’œuvre complète de Rudolf Steiner auprès des éditions Triades et Novalis en particulier, la lecture n’est pas aisée pour autant, car la plume est riche, dense, pétrie de sens caché et de profondeur, exigeant du lecteur autant d’attention que de méditation, de vigilance studieuse que d’intuition inspirée.

C’est probablement qu’approcher la pensée anthroposophique engage déjà une mutation sensible du lecteur, un de ces lâcher prise qui fait plonger au creuset de la liberté spirituelle authentique pour un envol devenu incontournable en ce siècle de matérialisme mutilant l’Homme de son devenir ailé.

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